La valeur client sur les marchés technologiques

On entend très souvent « nous voulons proposer plus de valeur que nos concurrents« . Pourtant, bien que cette valeur client soit fréquemment la source du succès ou de l’échec des produits et des offres sur leurs marchés, ses différentes dimensions sont fréquemment insuffisamment explorées et comprises. Comment procéder à l’analyse de cette fameuse « valeur client?

La valeur client est fondamentalement UNE BALANCE entre d’une part des bénéfices et d’autre part des sacrifices pour le client.

Une balance entre bénéfices et sacrifices

Ces bénéfices et sacrifices ont un impact à la fois sur les coûts du client et ses revenus dans le cas d’un client privé et sur les coûts, les budgets obtenus  et la capacité à remplir sa « mission » dans le cas d’un client public ou gouvernemental.

Les bénéfices peuvent être associés à une augmentation de chiffre d’affaires, la réduction de certains postes de coût ou encore la simplicité de mise en œuvre par exemple. Ils peuvent également être d’ordre psychologique comme l’image ou le statut. Les sacrifices quant à eux sont en relation par exemple avec les coûts, les délais, les efforts d’adaptation et d’apprentissage associés à l’achat et à l’utilisation d’un produit ou d’une solution.

Du point de vue du fournisseur, l’analyse de la valeur client est parfois  appelée « analyse de la valeur d’usage ». La valeur client (valeur d’usage) est généralement plus élevée que le prix payé (valeur d’échange). La « value for money » (expression pour laquelle nous n’avons pas d’équivalent exact en Français mais qui ressemble au rapport qualité-prix pour un consommateur)  est celle que le client obtient pour un certain niveau de prix qu’il consent à payer.

Cette balance entre les bénéfices, les sacrifices et le prix est la base de la comparaison qu’effectuent les clients entre différents fournisseurs, produits ou solutions, entre les produits ou les solutions existants et les alternatives possibles. Cette comparaison est influencée par des perceptions et explique la majorité des décisions client. Il est fréquent qu’une décision client qui paraît illogique ou incompréhensible ne soit en fait que le reflet d’une compréhension insuffisante de cette balance ou d’une erreur de ciblage.

La raison profonde pour laquelle un client prend une décision en faveur ou en défaveur d’un fournisseur, d’un produit ou d’une solution est la comparaison, telle qu’il la perçoit, de la « value for money » entre différentes alternatives. On parlera alors de « perceived Value for money ».

Cette comparaison peut être effectuée entre les produits ou solutions de différents fournisseurs, entre une solution existante et une solution nouvelle, entre faire aujourd’hui et faire demain, entre acheter/ sous-traiter ou faire soi-même.

Conséquences pratiques : comment explorer la valeur client ?

La notion de comparaison de la « perceived value for money », qui est la principale explication  des motivations et des décisions clients, a de nombreuses conséquences pratiques lorsqu’on  explore et cherche à comprendre la valeur client.

En tout premier lieu, le fait qu’un produit a des spécifications uniques mais a une valeur client multiple! Les bénéfices aussi bien réels que perçus, les sacrifices et le prix que le client est prêt à payer vont différer d’un segment de marché à un autre, d’une situation à une autre. L’exemple souvent cité est « que vaut une pièce détachée ordinaire si sa rupture a provoqué la mise à l’arrêt d’une plateforme pétrolière? »

Peu importe la méthode employée pour conduire l’ analyse, toutes les dimensions de la valeur et des besoins clients doivent être identifiées et comprises au cours du processus parfois appelé MCVU (Market & Customer Value Understanding) : organisation, individus, au fil du temps, au-delà des demandes et des besoins, au-delà de la technique, dans une situation donnée, etc.

Mentionnons quelques lignes directrices pour analyser la valeur clients : 

  • La valeur est une balance entre des bénéfices et des sacrifices : les sacrifices ne doivent pas être sous-estimés par rapport aux bénéfices. Dans la technologie, on est souvent légitimement fier de ses produits. Cela amène parfois à en voir plus facilement les bénéfices pour les clients que les sacrifices que ceux-ci doivent consentir pour les acquérir ou les utiliser.
  • Une partie importante de la valeur peut et doit être exprimée en termes monétaires: la valeur doit être formulée par un fournisseur en Euros, Dollars ou toute autres unité monétaire chaque fois et aussi précisément que cela est possible. Même si cela implique un travail de connaissance fine, voire un modèle des opérations et des coûts clients, cette quantification monétaire est plus souvent possible qu’on ne le pense. Les bénéfices, les sacrifices et l’équilibre entre les deux doivent pouvoir être exprimés en termes d’argent chaque fois que cela est possible. D’autres dimensions monétaires telles que les questions de budget, de lignes de budget, d’échéances de budget font aussi partie des besoins clients et doivent être analysées.
  • De nos jours, la valeur concerne de moins en moins la valeur de la seule performance du produit, du service ou de la solution mais intègre de plus en plus les coûts et les conséquences de mise en œuvre sur l’ensemble des processus clients ainsi que le coût total de possession dans le temps.
  • La valeur est multi-dimensionnelle et nécessite de caractériser  plusieurs aspects des bénéfices et des sacrifices :
    • Pour le client en tant qu’organisation :
      • l’ensemble des bénéfices qu’ils soient un revenu additionnel, une meilleure compétitivité sur ses propres marché, une meilleure image, la réduction des risques, une facilité opérationnelle accrue, des réductions de coûts chiffrées et comparées par la comptabilité analytique avec les équipements et les process déjà en place,
      • l’ensemble des sacrifices, qu’il s’agisse d’investissements financiers ou humains, de coûts additionnels comme par exemple la gestion d’un double stock de pièces de rechange, de changements de processus, d’efforts organisationnels, d’efforts de formation, de la prise de différents risques dont ceux de la défaillance du fournisseur ou  « d’essuyer les plâtres », particulièrement présent en cas de solution innovante.
    • Pour les individus au sein de l’organisation du client selon leur fonction : des tâches facilitées, enrichies ou au contraire plus complexes ou appauvries, des responsabilités allégées ou accrues, des efforts individuels à consentir face au changement. Par exemple quels sont les bénéfices et les sacrifices associés au choix d’un nouvel équipement au sein d’un constructeur d’avions ou une compagnie aérienne: quel bilan pour un pilote, un responsable de maintenance, un architecte système, etc.
    • Pour les individus au sein de l’organisation du client selon un point de vue purement personnel: les risques ou les bénéfices personnels en termes d’image, de carrière, de bonus, de charge de travail, etc.
    • Pendant toute la durée du cycle de vie du produit au sein de l’organisation cliente : l’achat, l’installation, la formation, la mise en route, le déploiement, tous les aspects des opérations pendant l’utilisation, la maintenance, la fin de vie…
    • En prenant en compte les bénéfices que le client voudrait avoir : attentes insatisfaites, problèmes non résolus: « je rêverais que… », « ce sujet nous bloque toujours « , etc.
    • En analysant successivement son produit ou son offre actuelle et son produit ou son offre future, ce qui permettra d’identifier les futurs éléments différenciants après un « benchmark » concurrence bien conduit.
  • L’organisation cliente achète, mais le processus de décision d’achat implique des individus. La valeur client est donc par nature filtrée par des perceptions : il est important de bien déterminer si le client apprécie la valeur proposée de manière correcte ou non et pourquoi; ceci pour démontrer que le client constatera fréquemment une valeur accrue lors de l’usage, bien plus élevée que sa perception initiale; également pour comprendre quels types de perceptions font sens pour les individus à la fois pour la pure utilisation opérationnelle (ce nouveau produit sera t’il réellement plus simple à utiliser, réduira t’il réellement les coûts?) et au-delà (est t’il associé à de la fierté et de l’espoir ou au contraire à de la peur et de la colère?)
  • La valeur est associée à un contexte spécifique : le segment de marché, les individus et le moment : la valeur réelle et la valeur perçue pour le même produit peuvent différer d’un segment de marché à un autre (c’est la base d’une segmentation basée sur les besoins) ou d’un moment à un autre. Les perceptions de la valeur varient entre différents individus, même au sein d’un même type de centre d’achat. Il est donc nécessaire de comprendre et d’anticiper comment la perception de la valeur peut différer selon les individus et leur fonction tout autant que comment elle peut évoluer dans le temps, selon l’état de la concurrence par exemple.
  • Le client compare toujours la valeur à une alternative concurrente. Le client compare la « value for money » entre différentes alternatives possibles: entre produits existants et nouveaux, entre différentes solutions de différents fournisseurs, entre faire maintenant et faire plus tard, entre faire soi-même et acheter à l’extérieur, entre dépenser dans un budget d’investissement et dépenser dans un budget de fonctionnement (c’est le cas par exemple entre payer une licence annuelle et acheter un logiciel … lorsque cela est encore possible!).
  • Les clients choisissent un fournisseur, sélectionnent un produit ou une solution, acceptent de payer un certain prix, seulement sur la base des DIFFÉRENCES de « perceived value for money ». Tout ce qui n’est pas perçu comme différenciant est soit du domaine du prérequis (« must have ») soit intervient peu ou pas dans la décision: un certain niveau de performance, d’effort de transaction, de facilité de mise en œuvre et de déploiement, de réduction de coûts opérationnels etc. n’a de sens pour le client que par comparaison avec une autre option lorsqu’elle existe. La décision du client est uniquement fondée sur ce qui est perçu comme répondant aux besoins ou problèmes qu’il identifie ou découvre tout en étant une meilleure option qu’une alternative concurrente.

Cycle de la valeur et « pricing power »

Une des meilleures façons de générer du résultat sur un segment de marché donné donc pour un type de clients donné est de faire payer au client le juste prix pour la valeur perçue dans le cadre d’une stratégie de valeur. C’est ce qu’on appelle « extraire la valeur » et est parfois désigné sous le terme de « pricing power », c’est à dire la capacité à extraire correctement la valeur en faisant accepter un prix correspondant à la valeur proposée.

Mais avant d’être extraite du marché et payée à son juste prix par les clients,  la valeur doit suivre un cycle. Elle doit être:

  • Comprise : identifier ce que le client paie réellement aujourd’hui (quels bénéfices face aux sacrifices?) ce qu’il pourrait être prêt à payer et pourquoi il préfère un produit, une solution ou un fournisseur plutôt qu’un autre, ceci dans toutes les dimensions possibles. C’est l’objet d’une partie de l’analyse des écosystèmes de marché et des comportements clients.
  • Créée : créer des produits, services, systèmes ou solutions qui apportent au client une valeur supérieure à celle proposée par la  concurrence ou par la version actuelle de son propre produit, ceci en tenant compte à la fois des aspects monétaires et non monétaires tels que l’image. C’est l’objet de la création des propositions de valeur.
  • Délivrée : la valeur doit être apportée jusqu’au client à travers des réseaux de distribution, des centres de service, des OEMs ou des partenaires. C’est l’objet des partenariats commerciaux et du management des « channels ».
  • Communiquée  : s’assurer que le marché et les clients connaissent et comprennent la valeur proposée. C’est l’objet de la formulation des propositions de valeur, de la promotion et de la communication en univers technologique.

NB : en complément, après avoir été créée, la valeur doit être protégée contre les tentatives des fournisseurs, des clients, des partenaires de capturer une part plus importante de cette valeur que les clients sont prêts à payer.

Michel PERRIN

Diplômé d’HEC Paris Grande Ecole, Michel PERRIN a été directeur stratégie et marketing d’un grand groupe Européen de Logistique. Il a conçu et animé les programmes de formation sur-mesure en marketing B2B de l’Executive Education d’HEC pendant plus de 15 ans. Il dirige la société PI DEVELOPPEMENT qui conseille et forme les entreprises technologiques pour leur marketing et leur Politique Produits. Il est coresponsable de l'association Techno Marketing Academy et a créé le site Techno Marketing Training.fr

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